Surgir

Surgir

Surgir... Deux moments, deux préludes liés par un désir commun : celui de traduire le monde dans lequel nous vivons, soumis à ce que le philosophe François Jullien appelle une « transformation silencieuse », un processus dont nous ne percevons que les événements surgissants.

Déjà dans mes Notizen-Fragmente (2013) je citais Rilke et sa Notice sur la mélodie des choses : « […] Il n'y a pas une profonde douleur pour rendre les humains également silencieux, l'un entend plus, l'autre moins, de la puissante mélodie de l'arrière-fond. Beaucoup ne l'entendent plus du tout. [...] Beaucoup n'ont pas le temps de l'écouter ». Dès lors, dès les premiers instants, qu’entendre de cet arrière-fond du monde sinon un bourdonnement pulsé , une transformation silencieuse, un presque rien – les Orientaux diront « le vide » - d’où seul peut surgir le geste calligraphique, la vague sonore qui entraîne une accélération de pensée en vue son anéantissement. Tout est son, même le silence qui débute la première pièce de mon diptyque. Car seul le silence permet le surgissement du son étrange de ces cordes étouffées en perpétuelle transformation. Filtrage, voyage, espace de résonance en métabole qui ouvre sur le surgissement du geste pianistique. Ainsi la musique se veut mise en abyme des différents « surgir », jusqu’à la frénésie digitale, fulgurante toccata, et son effacement dans le son lui-même. Quant au deuxième volet, il reprend le même matériau pris dans des conditions d’existence différentes, inspirées par le vers de Mallarmé : « Surgi de la croupe et du bond ». La croupe comme indice charnel, érotique, le bond comme indice cinétique palpable. Geste et mouvement qui permettent de rendre hommage à la souplesse agogique typique des musiques de jazz tant affectionnées. L’ombre d’une traversée des genres.

Création par Elodie Vignon – dédicataire de l’œuvre - aux Piano Days, Bozar, Bruxelles, février 2020.

Enregistrement CD « D’Ombres » par Elodie Vignon – CD cyprès 2020 – CYP4658