orgue
Cinq Inventions pour orgue (1998-2001)
Bien que composées dans un laps de temps étendu (entre 1998 et 2001), les Cinq Inventions forment un cycle homogène. Le projet est commun à chacune des Inventions: écrire de courtes pièces (entre 3 et 5 minutes) sur un matériau limité et l’exploiter au maximum de plusieurs manières différentes (ce qui justifie les 5 parties) mais dans un souci d’économie. On pourrait presque parler d’un exercice de style façon Queneau ! C’est pour cette raison que les 5 pièces se répondent et qu’elles sont souvent le miroir l’une de l’autre.
On trouve 2 idées génératrices à travers les 5 inventions : d’abord présentées individuellement dans les Inventions I et II, ces 2 idées se recouperont ensuite dans les 3 autres inventions en créant parfois l’illusion qu’une idée provient de l’autre et qu’en somme, ces idées n’en forment réellement qu’une seule !
Le cycle est conçu pour un instrument de taille modeste - les 2 premières font appel à un seul clavier – et d’esthétique baroque. Les attaques de l’instrument doivent être franches comme on en trouve sur les instruments de la Saxe du XVIIIème qui démontrent aussi une certaine influence française (notamment dans l’usage du jeu de tierce). Ces pièces peuvent donc convenir à plusieurs instruments différents car elles évitent certains mélanges trop caractéristiques (à base d’anches par exemple).
J’ai pensé à l’esthétique allemande car le projet compositionnel prenait appui essentiellement sur une idée de polyphonie et sur ses différentes implications musicales : on sait combien la polyphonie pour orgue de Bach se révèle sur les orgues de Gottfried Silbermann.
Pour chacune des 5 Inventions, je suis parti d’une idée assez simple de registration qui a déterminé tous les paramètres et artifices musicaux.
La première fait appel au Principal de 8’, jeu de base (comme l’indique son nom) de l’orgue. Cette pièce est quasiment monodique. Elle fait en quelque sorte écho aux Sonate e Partite pour violon ou aux 6 Suites pour Cello de J.S. Bach. Dans ces pièces composées pour des instruments monodiques, Bach a cherché comment créer une polyphonie « virtuelle », c’est à dire comment faire croire à l’auditeur par des moyens parfois proches de l’illusion acoustique, que ces pièces étaient écrites à plusieurs voix comme peut l’être une fugue, par exemple. Il me semblait intéressant de reprendre l’idée et de l’adapter à l’orgue, qui contrairement au violon ou au Violoncelle, permet de jouer une polyphonie réelle.
Un des moyens utilisé dans cette première invention est le changement permanent et la variété d’articulations qui, avec une certaine vitesse d’élocution, créent par moments des « polyphonies de rythmes ».
La seconde est conçue sur la Flûte de 4’. L’idée développée ici est un travail autour de « mixture » de timbre. Le début donne l’impression d’utiliser plusieurs jeux en même temps (essentiellement le « jeu de tierce »). Les premiers accords sont donc des reconstitutions plus ou moins fidèles de ce jeu de tierce. La polyphonie est donc ici construite plutôt sur le timbre.
Des sortes de petits dérapages (ou déviations) entraînent la constitution d’accords plus complexes et plus riches et également une accélération qui permet une plus grande continuité du discours, alors que le début de la pièce semblait fragmenté et nettement articulé à travers les silences qui le rythmaient.
Un passage lent et « sostenuto » constitue le centre de l’invention et provoque un basculement vers le second versant de la pièce beaucoup plus actif et même « dansant » vers la fin.
Certains procédés de canon sont mis en œuvre (comme dans les Inventions à deux et trois voix de J.S Bach) mais ici uniquement dans un souci de variation du timbre.
La troisième reprend et développe, dans son entièreté, le Récitatif qui ouvrait la 1ère Invention. Mais cette fois avec le procédé timbral de la 2nde Invention: la monodie sur le jeu de tierce est accompagnée sur un autre clavier par la flûte 4’ créant une sorte de chambre d’écho fidèle ou déviante, une ombre dessinée de manière plus ou moins conforme, celle-ci devançant même parfois l’objet réel ! Cette invention est en quelque sorte un Récit de Tierce en Taille mais dont l’accompagnement ne révèle pas l’harmonie mais bien le timbre !
La quatrième est une polyphonie hypertrophiée (utilisant pour la lisibilité de la partition jusqu’à 5 portées par système) par le nombre de voix mais aussi par les procédés de prolongation de celles-ci – les notes soutenues créant des résonances en puissance- ! Cette Invention est un double de la première qui était pratiquement monodique. Elle fait, cette fois proliférer le nombre de voix : la polyphonie devient texture et timbre. Cette pièce utilise les Bourdon et Flûte de 8’, registration relativement plus neutre que les précédentes. Ce contraste est compensé par la luxuriance de la polyphonie.
Le début de la cinquième Invention propose une mise en espace (profondeur de champs et hauteurs) du matériau de la 1ère Invention. Ensuite, comme dans le milieu de la 2ème Invention, on se fixe sur un accord dont le timbre est mis en vibration avec les procédés de la 3ème Invention pour retrouver l’idée première à travers un crescendo vers le Plein-Jeu de l’orgue. Ici aussi l’harmonie (donc les hauteurs utilisées) sont déduites de la registration : le plein-jeu fait appel à des reprises de quintes et octaves superposées.
Les Cinq Inventions sont publiées chez Gérard Billaudot Editeur à Paris et sont dédiées à Jean Ferrard, Jean Boyer, Pascale Rouet, François Espinasse et Bernard Foccroulle. Elles figurent sur un CD publié chez Cyprès (CYP4612) interprétées par le compositeur.
Création en partie : B. Mernier, Festival international de Bergamo (Italie), 02.10.98.
Création complète: B. Mernier, 26.11.01, Cathédrale de Bruxelles