Note du compositeur :
Lorsqu’au printemps 2020 Jean-Paul Dessy m’a demandé de composer une pièce réunissant vingt-deux musiciens pour le projet À l’Unisson : Musiques Nouvelles et la génération ARTS2, j’ai été tout particulièrement heureux et enthousiaste de savoir que cette pièce suivrait l’audition des Quattro Pezzi per Orchestra de Giacinto Scelsi. Il me semblait d’emblée évident, et en même temps inspirant, de chercher à créer un lien, soit avec cette œuvre emblématique qui se présente comme une suite de développements de timbres autour d’un unisson, soit avec la production artistique en général du célèbre compositeur italien.
Ce que l’on sait moins de cet artiste, c’est qu’il nous laisse aussi une œuvre poétique dont l’essentiel a été rassemblé dans le recueil L’homme du son, publié en 2006 chez Actes Sud. C’était l’occasion de sortir ce livre des rayons de ma bibliothèque et dans le contexte de la crise sanitaire brutale que nous commencions à traverser, dans cette période difficile et sombre, la lecture de la poésie de Scelsi m’a apporté un éblouissement salutaire. Elle m’offrait une véritable plongée dans la recherche des voies spirituelles empruntées par cet artiste. Ceci m’a conduit à la conception du matériau et au titre que j’ai donné à cette pièce, L’Ombre déchirée, qui est particulièrement reliée à ce court fragment :
que vienne l’Ange
des Hauteurs
déchirer l’ombre
démesurée
du sommeil d’angoisse
(in « L’homme du sons », p. 147)
La technique de « transition de timbre » (dans laquelle un son joué à l’unisson par deux instruments passe de manière insensible de l’un à l’autre) est largement utilisée pour créer l’illusion d’une image et de son double en mouvement. D’abord appliquée à quelques sons isolés joués en solos qui s’interpénètrent et créent une sensation de mise en espace, elle s’applique progressivement à des ensembles de plus en plus larges. Peu à peu, les unissons se déchirent en glissandi qui saturent les textures et conduisent à un paroxysme. Après l’amorce d’une réexposition apaisée, l’ombre reparaît, éclairée par ses échos en tierces et septièmes majeures, intervalles structurants à travers toute la pièce.
Par la dédicace « à la mémoire d’Harry Halbreich », j’ai souhaité rendre hommage au musicologue dont nous regrettons tous la disparition ; Harry Halbreich qui fut l’un des tout premiers à avoir attiré l’attention sur l’importance et l’extrême originalité de l’œuvre de Scelsi et qui est resté tout au long de sa vie, avec la complicité artistique de Jean-Paul Dessy, un formidable ambassadeur de sa musique.
Musiques Nouvelles - Arsonic Mons
La partition est écrite en ut.