Note du compositeur:
Voici l’absence propose une mise en perspective musicale à partir de textes aux tonalités contrastées, mais tous réunis par la thématique de la mort, du deuil et … de l’absence subséquente.
Trois Haïku de Bashô chantés en langue originale encadrent deux poèmes de langue française, un chant funèbre qu’Henri de Montherlant a dédié à un compagnon de tranchée et Lethamophos XXI du poète belge Jacques Crickillon, fresque dramatique qui sonne comme un appel implacable à la réconciliation de l’homme avec la nature. Les musiques sur les deux textes en français sont préexistantes et ont été révisées ou transcrites pour s’inscrire dans cet ensemble.
Au temple de Suma, Bashô croit entendre le son de la flûte dont jouait autrefois Taira no Atsumori, décapité à l’âge de seize ans suite à la défaite de son clan dans la bataille de Ichi-no-tani. Ce contexte du premier poème met bien en évidence une des caractéristiques essentielle du Haïku : dans son mode d’expression poétique ancré dans la philosophie zen, l’émotion n’est pas exprimée directement, mais est plutôt évoquée, tout en retenue et en allusion. Montherlant, au contraire, exprime sa douleur et sa révolte de façon explicite. Crickillon clame celles-ci aussi, mais à travers une portée toute symbolique.
J’ai souhaité que ces contrastes d’expression poétique soient soulignés musicalement et tout particulièrement, pour la mise en musique des trois Haïku de Bashô, par des références plus ou moins explicites à certains aspects des musiques traditionnelles du Japon.
Voix moyenne et orgue
Voici l’absence. Cinq déplorations en antiphonie.
BASHÕ
須磨寺や sumadera ya Temple de Suma
ふかぬ笛きく fukanu fue kiku j’entends la flûte qui s’est tue
木下やみ koshitayami dans l’ombre des arbres
Henry de Montherlant, A un aspirant tué, Chant funèbre pour les morts de Verdun, poème liminaire au livre de prose Mors et Vita, 1932.
J’ai lavé ton front, tête vide,
Défait les cuirs sur tes reins étroits,
Défait le col sur ton sein aride.
Pauvre corps, qu’a-t-on fait de toi !
Tu priais que passât ce calice.
Je tairai tes yeux tournoyants.
Frère du choix plus fort que le sang.
Qu’avais-tu fait pour qu’on te punisse ?
BASHÕ
夏草や natsugusa ya Ah ! herbes d’été –
つはものどもが tsuwamonodomo ga tout ce qui reste des rêves
夢のあと yume no ato de tant de guerriers
Jacques Crickillon : LETHAMORPHOS XXI, extrait de Ténébrées, Éd. L’Arbre à Paroles, Amay, 1993.
Les rives de la forêt s’écartent.
Le fleuve de larmes s’immobilise.
Voici le corps et voici son absence.
Le ciel s’absente.
L’oiseau tombe.
Nulle vague ne reviendra.
Lumière de pierre.
Au fond du sommeil
Meurt un enfant.
Le chat cherche une place
Où mourir.
Et meurt en chemin.
Arbre pour attendre.
Pour ne plus attendre.
Lande aux arbres morts.
Les étés chantent en chœur.
L’hiver prie seul.
Enfant, égaré, sous l’astre.
Sur les bords, poissons morts.
Aucun triangle ne se répond.
La cloche tinte seule.
Une passerelle, enfin !
Qui s’y risquerait ?
Lequel de tes doubles ?
La pluie court sur les prés.
Personne n’est venu.
Seulement sur rendez-vous ?
Plier bagages et pages.
La neige explose.
Front fier fendu.
Asters bleus, marguerites jaunes :
Dernières découvertes.
Le bal des saisons s’éteint dans la boue.
Appel dans la brume.
Nul n’est venu.
La montagne trame des délires.
Vaste horizon de pierre.
Ciel
Levé comme masque.
Poussière de pierre, le fleuve
Du regard immobile
Sur cette absence de face.
Et la sainte face parmi nous.
Montagne submergée.
Ce silence pleure sur la mer.
Le jour descend.
N’a pas cessé de descendre…
Abandonnée, la maison du bois.
Le jour descendait.
Et le voici qui descend.
Disparue, la demeure des forêts.
Et le jour descend, descend…
Un fleuve gronde.
Entre mémoire et l’aujourd’hui.
Et le jour est descendu, descendu…
Nul ne veut signer ces pages.
Au regard, nul rivage.
BASHÕ
留守の間に rusu no ma ni Quand le dieu s’absente
あれたる神の aretaru kami no tout paraît abandonné –
落葉かな ochiba kana que de feuilles mortes !