Violon et orchestre [3.3.3.3 - 4.2.2.1 - Timb. - 2 perc. - Hpe - Pno/Cél. - 12.12.10.8.6]
Concerto pour violon – Benoît Mernier – Texte deprésentation
La commande de ce concerto pour violon parl’Orchestre National de Belgique a provoqué chez moi une stimulation et unbonheur dont je n’avais pas complètement conscience au moment où ce projet acommencé à se concrétiser.
La création de cette œuvre fait partie d’unensemble de commandes commémorant le centième anniversaire de la Grande Guerre.D’emblée j’avais émis l’envie d’écrire un concerto pour violon d’une duréeforcément plus longue que la plupart des autres commandes passées et créées parl’ONB à cette occasion. Malgré le format de l’œuvre et la présence d’unsoliste, ce projet a reçu un accueil enthousiaste et sans condition de la partde la direction de l’orchestre. Restait à trouver un soliste et de quoi nourrirla thématique commémorative…
N’étant pas violoniste moi-même, je souhaitaispouvoir travailler régulièrement avec le soliste qui serait choisi dès le débutde la composition et entretenir avec lui un échange qui puisse à la foisstimuler mon imaginaire musical mais aussi me permettre de tester des choses,les faire évoluer, les corriger au fur et à mesure de la genèse de l’œuvre. La personnalitéde Lorenzo Gatto nous a paru une évidence pour s’impliquer dans ce projet d’autantque ce magnifique musicien manifestait le désir de s’investir aussi sur leterrain de la création, ce qui n’est pas toujours le cas de grands solistesfaisant carrière. Première source de bonheur et de stimulation donc :cette possibilité d’un partage réciproque autour d’une « work inprogress ».
Dans mon travail préparatoire, j’ai été trèsvite touché par deux idées paradoxales qui émanaient de photos de soldats aufront ou de paysages dévastés, de textes poétiques d’auteurs eux-mêmes enrôlésou témoins de cette tragédie (Cendrars, Péguy, Zweig, Apollinaire, …) maisaussi de récits ou romans d’auteurs contemporains tels que Laurent Gaudé.
La première est la métaphore des atrocitéscommises au-travers des images d’une terre malmenée, éventrée, méconnaissable. L’autreest la beauté d’une humanité tantôt exacerbée, tantôt empreinte d’espoir quel’on trouve dans les lettres émouvantes de soldats envoyées à leurs proches etdans des poèmes d’amour telles que les « Lettresà Lou » de Guillaume Apollinaire. Ce contraste a donné naissance àdeux mouvements d’une durée égale de quinze minutes chacun, dont le titreprovient de deux poèmes de Guillaume Apollinaireextraits de « Lueur des tirs ».
Le premier mouvement intitulé « Entends la terre véhémente… »tente d’induire cette expression tellurique et menaçante couplée à l’idée del’écrasement, de la solitude face au péril et à l’horreur mais aussi du courageet de la bravoure. En cela, l’expression tantôt fragile, tantôt virtuose d’unviolon soliste s’opposant aux masses écrasantes d’un orchestre pouvait dans demultiples déclinaisons symboliser ces éléments.
Le deuxième mouvement, « La grâce exilée », commence par une mélodie jouée par leviolon seul exprimant à la fois la nostalgie d’un monde révolu et celui d’unbonheur perdu. Ce mouvement évolue dans des climats pouvant passer aussi par lalégèreté, la tendresse et la vivacité comme peuvent l’être les souvenirs detemps heureux.
Les deux idées principales que l’on trouvedans les deux mouvements se croisent parfois et s’entremêlent également au seind’un même mouvement, pour conclure dans un climat de sérénité et de lumière.
BenoîtMernier, janvier 2015
Extraits des textes utilisés pour les deux mouvements
Désir
« (…) Entends laterre véhémente
Vois les lueurs avantd’entendre les coups (…)
Nuit violente et violetteet sombre et pleine d’or par moments
Nuit des hommes seulement(…)
Nuit violente ô nuit dontl’épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute
Nuit qui criait comme unefemme qui accouche
Nuit des hommesseulement »
La grâce exilée
« Va-t’en va-t’en monarc-en-ciel
Allez-vous-en couleurscharmantes
Cet exil t’est essentiel
Infante aux écharpeschangeantes
Et l’arc-en-ciel est exilé
Puisqu’on exile quil’irise
Mais un drapeau s’estenvolé
Prendre ta place au ventde bise »
GuillaumeApollinaire, Lueurs des tirs