pour 2 pianos et 2 percussions à clavier
Les Idées Heureuses (1996-1997)
Lorsque les membres du Quatuor Ictus m’ont demandé d’écrire une pièce pour deux pianos et deux percussions, j’ai longuement hésité sur la formule instrumentale.
Ce type d’instrumentarium renvoie évidemment à Bartok et à sa Sonate et il me semblait difficile d’aller dans le même sens. Le choix de tel instrument à percussion au détriment de tel autre me paraissait trop arbitraire. J’ai donc opté pour une solution plus simple: un quatuor de clavier (deux pianos, marimba et vibraphone) pouvant présenté des visages multiples et offrant une palette très large de possibilités de ressemblances ou de dissemblances instrumentales.
L’œuvre complète, d’une durée d’environ 25 minutes, est constituée de six pièces: deux parties utilisant le quatuor en entier encadrant quatre autres pièces en effectif réduit: un solo de marimba lui-même enchâssé dans deux duos (l’un pour percussion, l’autre pour deux pianos), enfin un trio pour piano, marimba et vibraphone. Il est néanmoins possible de jouer le cycle sous d’autres formes plus courtes.
Le titre fait référence à une œuvre pour clavecin de François Couperin. La plupart des pièces pour clavecin de ce compositeur exploite une seule Idée souvent basée sur une figure musicale particulière elle-même induite par l’invention instrumentale. Autrement dit, c’est l’instrument qui engendre et force l’idée; ensuite le compositeur opère un jeu subtil de va-et-vient entre forme sonore concrète et abstraction de la figure.
C’est cette approche qui a constitué l’un des enjeux dans la composition du quatuor.
Les 6 pièces se complètent l’une l’autre. Elles sont à la fois le miroir déformé, l’extension ou l’ombre l’une de l’autre tel, par exemple, les deux duos.
Le matériau de départ est une simple mélodie de huit notes qui pourrait presque être tonale. Elle est entendue intégralement une seule fois, à la fin du duo pour marimba et vibraphone. Cette mélodie engendre une partie du travail rythmique et tout le parcours harmonique des 6 pièces suivant différents processus. L’harmonie aura à certains moments un aspect assez chromatique, à d’autres, sera plus modale et polarisée.
La première pièce en quatuor tient lieu d’ouverture. Elle présente le matériau instrumental qui sera déconstruit au travers des différents mouvements suivants, puis enfin reconstruit dans le tutti final. Les gestes sont simples: un continuum rapide entrecoupé de grands accords tenuto évoluant suivant certains principes d’interpolation. Au début de la pièce, les deux pianos sont concertants, les percussions n’en dessinent que les ombres et les contours. Le continuum sera progressivement interrompu par de nouvelles figures, les grands blocs d’accords étant remplacés par une articulation plus nerveuse de complexes harmoniques dans une tessiture plus resserrée. Le continuum sera repris par la suite, par les percussions à clavier; les deux pianos resteront alors confinés dans un rôle de « hachoir rythmique » en déliquescence.
Le premier duo est un jeu entre les deux instruments qui, au commencement et à la fin, n’en forment qu’un seul: au début le marimba n’est que la résonance du vibraphone, ensuite le marimba tente quelques échappées qui provoquent des déphasages et interpolations rythmiques. A la fin les rôles sont renversés: le marimba est soliste, le vibraphone n’en est plus que l’ombre.
La troisième mouvement est une pièce « extrême ». Le marimba soliste joue dans le suraigu de l’instrument avec des baguettes assez douce une forme de polyphonie virtuelle. La pièce est virtuose, le son est étrange, comme venu d’ailleurs, avec des sonorités boisées aux antipodes du timbre claquant du xylophone. Au début du mouvement, la polyphonie résulte d’une variation de l’accentuation; à la fin, l’ambitus s’étant élargi vers le grave, la polyphonie provient des registres différents.
Le duo pour pianos constitue une sorte de double du duo pour percussions: le matériau est identique mais l’harmonie se déploie d’avantage, à la fois dans l’espace et le temps. Ce mouvement exploite également de nombreuses modulations métriques et de tempo. Le temps semble évolué suivant plusieurs vitesses.
Le trio est une pièce légère et vive. D’une part, elle tient un peu la place que tenait le scherzo « divertissant » avant le finale de la symphonie classique; elle précède en effet le dernier quatuor, partie la plus développée de l’œuvre. D’autre part, elle « met en poussières », certains éléments du premier quatuor pour pouvoir mieux reconstruire le dernier mouvement.
Ce sixième mouvement, de loin la pièce la plus complexe du cycle, reprend l’ensemble du matériau proposé dans les mouvements précédents, non pas sous une forme de résumé contracté, mais comme si ce mouvement offrait enfin le vrai visage de son matériau dans sa forme hétérogène et dans la liberté de son articulation plus souple. Certains gestes se justifient par un jeu sur la mémoire, d’autres semblent tout à fait neufs. Le matériau est en quelque sorte repensé dans un nouveau cadre de réarticulation plus mobile, faisant appel à un travail très fin sur les modulations de tempo.
L’œuvre a été créée en partie à l’IRCAM, en juin 1997, elle est dédiée aux membres du Quatuor Ictus et est éditée chez Gérard Billaudot Editeur.
Benoît Mernier
Création (en partie) par le Quatuor Ictus: IRCAM, Paris, le 24.06.97 Création (totalité du cycle) le 08.02.99, au Kaaitheater, BruxellesEcrit avec l'aide du Ministère de la Communauté Française.
L'oeuvre est constituée de 6 pièces :
I. Quatuor pour 2 pianos, marimba + glockenspiel et vibraphone
II. Duo pour 2 pianos
III. Solo pour marimba
IV. Duo pour marimba et vibraphone
V. Trio pour piano, marimba et vibraphone
VI. Quatuor pour 2 pianos, marimba et vibraphone + crotales + glockenspiel