Le Forum des Compositeurs remercie Martine Mergeay et le quotidien La Libre Belgique pour nous avoir autorisés à reproduire l'article ci-dessous, paru le 12 avril 2022 au sujet du décès de Philippe Boesmans, membre d'honneur de notre association.
Philippe Boesmans a glissé dans un autre monde
Son dernier opéra à peine terminé, le compositeur est décédé dimanche soir à l’âge de 85 ans.
Ses proches l’ont annoncé dans la nuit de dimanche à lundi : Philippe Boesmans est décédé le soir de ce 10 avril d’une brutale décompensation respiratoire. Avec cet amour de la vie qui ne l’avait jamais quitté, il s’était accommodé depuis quelques années d’un cancer tenace, il luttait sans se plaindre, il continuait à avancer, à composer, à rêver avec ses amis. Même l’incendie qui, en 2021, avait ravagé son appartement et tout ce qu’il contenait – y compris son piano et quelques précieuses pages de son dernier opéra -, n’avait pas eu raison de son calme courage, de son détachement, de son humour. Cette fois, il a dû capituler. C’est un géant de la musique du XXe et du XXIe siècles qui nous quitte, emportant l’image d’un éternel jeune-homme, libre, drôle, modeste, et génial.
Electron libre et visionnaire
Philippe Boesmans est né à Tongres, le 17 mai 1936, dans une famille nombreuse et aimante. Musicien doué et curieux, parfait bilingue, il entreprend ses études supérieures au Conservatoire de Liège, en commençant par le piano ; mais c’est « sur le terrain » qu’il s’oriente progressivement vers la recherche et la composition. A la fin des années 50, il fréquente en effet le cercle d’Henri Pousseur — directeur du Conservatoire de Liège à partir de 1976 et figure de proue de la musique d’avant-garde en Europe — et est engagé au Centre de Recherches Musicales de Wallonie, sorte d’IRCAM à l’échelle belge. En 1962, il entre comme pianiste dans l’Ensemble Musique Nouvelle et devient producteur à la RTB. Ce ne fut donc pas le parcours fulgurant du génie surdoué mais plutôt l’installation organique, quasi familiale, d’un électron libre - mais déjà visionnaire – au sein d’un environnement artistique qui allait lui donner le meilleur avant que lui-même en devienne le chef de file et acquière la notoriété mondiale qu’on lui connaît aujourd’hui. Son côté familial ne l’a pourtant jamais quitté, s’élargissant tout naturellement à La Monnaie à partir des année 80.
Un lyrisme déterminant
En 1971, Upon La Mi, pour soprano, cor et ensemble, avait soudain révélé un compositeur accompli (Prix Italia), au ton personnel, sensuel, lyrique, en rupture avec l’air du temps, malgré sa forme savante et son apparente soumission aux règles post-weberniennes. Avec cette pièce, déjà, la musique de Boesmans entrait dans les cœurs. Il y eut d’autres pièces instrumentales magnifiques, notamment pour l’orgue de son ami Bernard Foccroulle, mais, grâce à l’invitation de Gérard Mortier, c’est l’entrée à la Monnaie comme compositeur en résidence qui détermina de façon décisive sa carrière internationale. En 1983, la création de La Passion de Gilles, sur un livret de Pierre Mertens, fut vécue comme un événement historique, l’opéra déclaré mort par Pierre Boulez reprenait soudain vie et actualité. Vinrent ensuite Reigen, d’après la pièce d’Arthur Schnitzler (1993) entré d’emblée dans le grand répertoire lyrique, Wintermärchen, d’après Shakespeare (1999), et Julie (2004), d’après la pièce d’August Strindberg, chaque fois en collaboration avec Luc Bondy qui en avait également écrit les livrets. En coproduction avec d’autres grandes maisons d’opéra, ce furent ensuite Yvonne, princesse de Bourgogne (Opéra-Comique, en 2009), Au Monde (2014) et le miraculeux Pinocchio(Aix-en-Provence, 2017), ces deux derniers en collaboration avec Joël Pommerat. Tout cela sous la direction de chefs « frères », en tête desquels Sylvain Cambreling et le regretté Patrick Davin.
Durant toute cette époque, sans pour autant occuper aucun poste d’enseignement, Boesmans fut un modèle pour d’innombrables compositeurs, et un maître pour quelques privilégiées, parmi lesquels Benoît Mernier, Renaud De Putter ou Kris Defoort, toujours en famille, simplement, sans compter.
Lors de sa dernière conférence de presse, Peter de Caluwe annonçait la création de son nouvel opéra, On purge bébé,inspiré de la farce de Feydeau, que le compositeur était en train de finaliser avec le metteur en scène et librettiste Richard Brunel. Celui que ses proches appelaient affectueusement Fifi ne verra (peut-être) pas la création de son ultime facétie.
Martine Mergeay
Lire : Philippe Boesmans, un inventeur de l’opéra du XXIe siècle de Serge Martin – Vers l’étrangeté ou l’opéra selon Philippe Boesmans de Cécile Auzolle