Concerto pour violon – Benoît Mernier – Texte de présentation
La commande de ce concerto pour violon par l’Orchestre National de Belgique a provoqué chez moi une stimulation et un bonheur dont je n’avais pas complètement conscience au moment où ce projet a commencé à se concrétiser.
La création de cette œuvre fait partie d’un ensemble de commandes commémorant le centième anniversaire de la Grande Guerre. D’emblée j’avais émis l’envie d’écrire un concerto pour violon d’une durée forcément plus longue que la plupart des autres commandes passées et créées par l’ONB à cette occasion. Malgré le format de l’œuvre et la présence d’un soliste, ce projet a reçu un accueil enthousiaste et sans condition de la part de la direction de l’orchestre. Restait à trouver un soliste et de quoi nourrir la thématique commémorative…
N’étant pas violoniste moi-même, je souhaitais pouvoir travailler régulièrement avec le soliste qui serait choisi dès le début de la composition et entretenir avec lui un échange qui puisse à la fois stimuler mon imaginaire musical mais aussi me permettre de tester des choses, les faire évoluer, les corriger au fur et à mesure de la genèse de l’œuvre. La personnalité de Lorenzo Gatto nous a paru une évidence pour s’impliquer dans ce projet d’autant que ce magnifique musicien manifestait le désir de s’investir aussi sur le terrain de la création, ce qui n’est pas toujours le cas de grands solistes faisant carrière. Première source de bonheur et de stimulation donc : cette possibilité d’un partage réciproque autour d’une « work in progress ».
Dans mon travail préparatoire, j’ai été très vite touché par deux idées paradoxales qui émanaient de photos de soldats au front ou de paysages dévastés, de textes poétiques d’auteurs eux-mêmes enrôlés ou témoins de cette tragédie (Cendrars, Péguy, Zweig, Apollinaire, …) mais aussi de récits ou romans d’auteurs contemporains tels que Laurent Gaudé.
La première est la métaphore des atrocités commises au-travers des images d’une terre malmenée, éventrée, méconnaissable. L’autre est la beauté d’une humanité tantôt exacerbée, tantôt empreinte d’espoir que l’on trouve dans les lettres émouvantes de soldats envoyées à leurs proches et dans des poèmes d’amour telles que les « Lettres à Lou » de Guillaume Apollinaire. Ce contraste a donné naissance à deux mouvements d’une durée égale de quinze minutes chacun, dont le titre provient de deux poèmes de Guillaume Apollinaire extraits de « Lueur des tirs ».
Le premier mouvement intitulé « Entends la terre véhémente… » tente d’induire cette expression tellurique et menaçante couplée à l’idée de l’écrasement, de la solitude face au péril et à l’horreur mais aussi du courage et de la bravoure. En cela, l’expression tantôt fragile, tantôt virtuose d’un violon soliste s’opposant aux masses écrasantes d’un orchestre pouvait dans de multiples déclinaisons symboliser ces éléments.
Le deuxième mouvement, « La grâce exilée », commence par une mélodie jouée par le violon seul exprimant à la fois la nostalgie d’un monde révolu et celui d’un bonheur perdu. Ce mouvement évolue dans des climats pouvant passer aussi par la légèreté, la tendresse et la vivacité comme peuvent l’être les souvenirs de temps heureux.
Les deux idées principales que l’on trouve dans les deux mouvements se croisent parfois et s’entremêlent également au sein d’un même mouvement, pour conclure dans un climat de sérénité et de lumière.
Benoît Mernier, janvier 2015
Extraits des textes utilisés pour les deux mouvements
Désir
« (…) Entends la terre véhémente
Vois les lueurs avant d’entendre les coups (…)
Nuit violente et violette et sombre et pleine d’or par moments
Nuit des hommes seulement (…)
Nuit violente ô nuit dont l’épouvantable cri profond devenait plus intense de minute en minute
Nuit qui criait comme une femme qui accouche
Nuit des hommes seulement »
La grâce exilée
« Va-t’en va-t’en mon arc-en-ciel
Allez-vous-en couleurs charmantes
Cet exil t’est essentiel
Infante aux écharpes changeantes
Et l’arc-en-ciel est exilé
Puisqu’on exile qui l’irise
Mais un drapeau s’est envolé
Prendre ta place au vent de bise »
Guillaume Apollinaire, Lueurs des tirs