Parcae

Catégorie
Instrument ou voix solo
2017
Compositeur(s)
Instruments
Violoncelle
Durée
11'
Effectif
Violoncelle
Programme

Parcae est né de l'envie de composer une parodie, non pas au sens humoristique ou satirique du terme, mais dans son sens premier qui signifie « contrechant » (para « contre » et ôdê « le chant »). Cette définition postule une musique se construisant en parenté avec une autre, préalablement composée. Il s'agit alors de composer « avec » ou « en compagnie » d'une oeuvre et par la même manière, d'investir une partition existante pour en déduire toutes sortes de contraintes et de choix compositionnels.

Ainsi, l’oeuvre Parcae est construite sur le lied "Ich bin der welt abhanden gekommen", troisième chant du cycle "Rückert-Lieder" de Gustave Mahler, auquel elle emprunte toutes sortes d'éléments.

Tout d'abord, la forme du lied est construite en trois parties : une ouverture instrumentale, un chant accompagné et une conclusion. Ces trois types d'instants sont analogues à l'existence humaine (la naissance, la vie et la mort) et viennent illustrer le poème de Friedrich Rückert dans lequel celui-ci écrit :

"Me voilà coupé du monde
dans lequel je n'ai que trop perdu mon temps;
il n'a depuis longtemps plus rien entendu de moi,
il peut bien croire que je suis mort !

Et peu importe, à vrai dire,
si je passe pour mort à ses yeux.
Et je n'ai rien à y redire,
car il est vrai que je suis mort au monde.

Je suis mort au monde et à son tumulte
et je repose dans un coin tranquille.
Je vis solitaire dans mon ciel,
dans mon amour, dans mon chant. "

La paix et l'intense solitude qui règnent dans ce texte évoquent pour moi une absence qui m'a conduit à effacer le chant de Mahler par un jeu de souffle avec l'archet dans le but de faire disparaître progressivement la mélodie. L’oeuvre se veut être un lied sans parole pour violoncelle seul, comme un monologue intérieur s'éloignant dans un dernier chant, un dernier souffle.

Le sujet de la mort m'a donné l'image des parques qui sont, dans la mythologie romaine, trois divinités liées à la destinée humaine. Celles-ci rythment la vie humaine, de la naissance à la mort, à l'aide d'un fil qu'elles tissent, mesurent et coupent, mettant ainsi fin à la vie de l'individu. Cette image est transposée au violoncelle et ses quatre cordes dans un jeu minutieux de quarts de tons (tisser), de glissando (mesurer) ou encore de pizzicato (couper).

Travailler avec la citation d'une oeuvre musicale me permet donc de constituer autour de l’oeuvre tout un univers poétique, une constellation de sens, un microcosme dans lequel le matériau et les techniques de composition dérivent de l’oeuvre citée et trouvent leur logique en résonance avec la mythologie.

Ensuite, il s'agit de considérer la musique de Mahler comme pure matière sonore sur laquelle on peut exercer une force en tentant de déformer son harmonie, en épuisant ses ressources, en affaiblissant ses thèmes et tenter de faire disparaître la silhouette de Mahler dans le souvenir. J'ai cherché à aller du connu vers l'inconnu, du souvenir vers l'imagination et éviter tout véritable développement pour laisser cours à une subjectivité libre et transformatrice.

Finalement, l’oeuvre ressurgit comme un socle intangible (car légitimé par le temps), sur lequel on ne peut qu'exercer une opposition. La citation de Mahler traverse l'entièreté de l’oeuvre et devient une sorte de point d'appui, comme la tonique l'est à la musique tonale, à partir de laquelle on ne peut que s'éloigner et revenir.

Parcae est une commande de « Ça Balance Classique » à l'occasion des « Concerts de Midi » dans la Salle académique de l'Université de Liège.