pour flûte, clarinette sib /clarinette basse sib, violon, violoncelle et piano
Dédicace : Aux membres de l'ensemble Fractales
Erotique-Lancinante
Pour flûte, clarinette, violon, violoncelle et piano ( 2018 - 25’)
Tout part d’une phrase qui ne cesse de résonner de manière lancinante dans ma mémoire, une citation de l’Amour Fou d’André Breton : « la beauté convulsive sera érotique-voilée, explosante-fixe, magique-circonstancielle, ou ne sera pas ».
Mots magnifiques, quasi incantatoires, qui me font définitivement rêver. Mais là où Breton (plus tard Boulez) se replie sur les oppositions, je suis mu par la nécessité de l’ « entre deux termes ». L’érotisme est insaisissable. Pourquoi le figer dans des catégories alors qu’il s’envole au gré des désirs ? D’un mouvement de pensée, il devient caresse dansée, de l’autre, impulsion de vie et de création.
Dès lors ma musique laisse transparaître la trace de l’écart et de mes lectures du philosophe François Jullien. Pas de catégories définitives, mais un écart entre deux propositions dans lequel le monde chuchotté peut enfin s’inscrire. Entre l’Inspire et l’Expire. Entre « Moi et l’autre » ; cela pourrait être aussi entre « moi et moi »… N’en demeure pas moins le « et » qui rempli l’espace entre les deux termes et qui devient essentiel dans ma musique, points in Between entre les matériaux musicaux .
Trois moments ponctuent cette pièce, le plus souvent d’une grande douceur :
- Regarde-moi…
- Dis-moi…
- Erotique…
Moi « et » l’autre ; car on ne peut exister sans le regard que l’autre pose sur nous. Mais nous ne pouvons non plus exister sans les mots pronconcés par l’autre, mots qui façonnent notre identité. Nous ne pouvons exister sans l’Eros contrant la mort, ce Thanatos fébrile qui nous observe sans relâche.
Dans ces trois pièces, la flûte tient un rôle central ; avatar de soliste, récipient des désirs à l’instar de la charmeuse de serpent du Douanier Rousseau. Impulsion poétique à mon œuvre. Passions imaginaires, couleurs débridées, jeux d’ombres et de lumière. Rousseau imaginait sa créature dans un rêve-poème :
“Yadwigha dans un beau rêve
s'étant endormie doucement
entendait les sons d'une musette
dont jouait un charmeur bien pensant
pendant que la lune reflète
sur les fleurs les arbres verdoyants
Les fauves serpents prêtent
l'oreille aux airs gais de l'instrument.”
A mon tour d’imaginer les prémisses d’une forme/composition, texte prémonitoire où l’entre peut enfin se glisser :
« Au-delà des mots imagés, des mots d’humeur, des mots d’humour, d’autres mots encore ;
toujours des mots.
Il y a aussi ces regards, ces frôlements de peau… ou ces froissements de sons que j’aimerais encore inventer pour marquer ces rencontres singulières qui ne cessent de me tarabuster. Moi, toi, o, oh, eau, saut… Sot ! je ne comprends plus les "pourquoi ?" de ces attirances improbables. T t t t t …
Gestes doux qui se lovent au creux de phrases tendres. Myriades de fragments inscrits au coeur de ma partition en sotto voce, insérés par passion-pudeur.
Les sons se sont évanouis. Je quitte cette partition, une note de cristal fêlé dans le cœur. Malgré ce trou dans l’âme, demeure le fantôme dansé d’une musette t t t t t »
Le deuxième mouvement s’inspire d’« Esquisse-Lancinante », œuvre composée en automne 2017 à l’occasion d’un concert d’hommage à Pierre Bartholomée. L’œuvre complète fut créée par ses dédicataires, les musiciens de l’Ensemble Fractales, lors du Festival ReMusic de Saint-Petersbourg, mai 2018.
L'œuvre fut composée avec l'aide financière de la commission Musique Contemporaine de la Communauté Wallonie-Bruxelles.
Claude LEDOUX