Las Lagrimas de un Angel
(Les larmes d’un ange) - Quatuor à Cordes no 3 (2008)
I. Non misurato – misurato - più vivo - teneramente – tempo poco rubato –
hors temps – tempo stritto
II. Extatique, comme un rituel
À l’origine de cette œuvre se situe un double projet :
Métaphorique d’abord ; en s’inscrivant dans la lignée de ma pièce pour flûte et ensemble “Sanaalijal”, conçue en 2006 comme un désir de mémoire à l’égard de la journaliste Mongole Hanà Tserensodnom, expulsée de Belgique et vouée depuis à vivre dans la clandestinité car persona non grata dans son pays. Pour ce nouveau quatuor, c’est l’histoire de la jeune équatorienne Angelica (et finalement celle de tous ces enfants de famille d’exilés, parfois résidant de longue date dans nos contrées), recluse en 2007 dans la promiscuité d’un centre fermé pour sans-papiers, aux larmes largement médiatisées, qui m’a ému au point de composer une œuvre dont l’écriture et ses stratégies se devaient d’offrir mon point de vue sur la chose.
Musical ensuite ; car l’une de mes caractéristiques esthétiques consiste depuis bon nombre d’années à me nourrir des musiques extra-européennes, de les “digérer” et de les synthétiser sous la forme d’une dialectique avec les pratiques techniques de l’écriture musicale occidentale. Dès lors pour rejoindre la métaphore précédemment citée, j’ai analysé par le biais de l’informatique certains faits sonores émanant de rituels pratiqués en Équateur mettant en valeur des ensembles de conques – les pututus - aux sonorités étranges. Ainsi, les échantillons mis sous observation ont-ils révélé de remarquables propriétés spectrales, particulièrement de phénomènes de distorsions et de parasitages aux cours desquels les partiels issus de ces sonorités d’ensembles évoluent selon leur loi propre, dans des directions fortement individualisées, pour se rejoindre de manière surprenante à certains points fusionnels à forte prégnance d’harmonicité.
Le deuxième mouvement explicite clairement les lignes de force d’un projet déjà à l’œuvre – mais sous une forme plus complexe - dans le mouvement précédent : soumettre les séquences inspirées par cette musique andine à des processus de distorsions externes, de manière à neutraliser la richesse de leur texture ainsi que l’instabilité de leur comportement spectral, pour inclure la matière sonore ainsi indifférenciée dans des entrelacs polyphoniques et des positionnements harmoniques typiques de l’“écriture occidentale contemporaine”. Ainsi, à l’écoute, l’instabilité des musiques rituelles initie-t-elle le discours par le biais d’une transposition du modèle sonore décrit ci-dessus dans la sphère du quatuor. Suivent ensuite des distorsions de ce modèle (déjà lui-même constitué de distorsions) ; en fin de compte, des “distorsions de distorsions” pour se diriger vers un environnement plus stable et donc plus facile à manipuler dans des zones de traitements appropriés à la prolifération de lignes mélodico-rythmiques où le modèle initial semble définitivement oublié. Mais c’est sans compter les interstices de ces entrelacs complexes, minuscules failles temporelles dans lesquelles peuvent se glisser les rémanences de sonorités équatoriennes, et sous la pression de l’écoute faire apparaître à nouveau leur richesse intrinsèque.
Ainsi le projet musical rejoint-il le projet métaphorique ; même si pour l’oreille ne demeure uniquement que la musique !
« Las Lagrimas de un Angel » est une co-commande du Quatuor Danel et des Beaux-Arts de Bruxelles (Bozar). Ce troisième quatuor à cordes fut créé en mars 2008 par cet ensemble, dédicataire de l’ouvrage.
Claude LEDOUX
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