pour violon et piano (9 min.)
V...
pour violon et piano
(Oeuvre imposée pour la demi-finale du Concours International de Musique Reine Elisabeth de Belgique (CIMREB), session violon 2009)
Quelques pistes de réflexions
« V... » est, avant toute chose, conçue comme une oeuvre musicale à part entière et non pas comme une pièce de concours. Dès lors la virtuosité ne s’exprimera pas dans le cadre des conventions du passé mais plutôt sous des problématiques plus modernes : virtuosité dans la compréhension du discours, virtuosité dans la relation entre le timbre et les formulations mélodico-rythmiques, virtuosité dans le contrôle des temps musicaux, etc...
Comme l’incipit de la partition l’indique :
"V" comme...
Violon,
Virtuosité,
Volupté,
Vibration sonore
et
VARIATIONS (sur une séquence [de 22 croches])
Comme cette dernière phrase le démontre, dans cette pièce destinée au Concours Reine Elisabeth (22 lettres), le chiffre 22 joue un rôle structurant. Car V est bien évidemment la 22e lettre de l’alphabet. Mais d’autres éléments tout aussi significatifs sont aussi à l’oeuvre dans cette composition :
- 22 comme les 22 shrutis (« connaissance révélée » en sanskrit) de la musique indienne - non pas qu’il y ait ici une référence explicite à cette musique que j’ai étudiée lors de précédents voyages, mais simplement pour inciter à la réflexion sur le problème de la déviation microtonale comme un élément d’ornementation et d’expressivité musicales ;
- 22 comme les arcanes majeures – et la variété des actions de notre être intime qu’elles sous-tendent. Cette pièce est conçue comme une métaphore dynamique de la recherche du sens des choses, un chemin, un voyage, une géographie personnelle que chacun (à commencer par l’interprète) doit se révéler (au gré des 22 chemins de la Kabbale ?) ;
- 22 comme les 22 paires de chromosomes (le 23e déterminant le sexe). Il y a donc quelque chose de génétique dans cette musique. D’où cette forme : 5 premières mesures qui contiennent en germe tout ce qui est à venir ; les 4e et 5e mesures non misurato pour créer une attente, une ambiguité des 22 e [23 ?]. Les mesures suivantes seront alors des voies particulières prises par certaines qualités déjà présentes dans ces premières mesures, forme articulée sous le principe de variations permanentes, amplificatrices de certaines qualités – comme les Diabelli de Beethoven - (le « thème » et ses variations faisant un total de 44 séquences sous-entendues – attention : les dernières séquences ne sont pas indiquées dans la partition, le temps de la coda se révélant plus fluctuant dans son découpage).
Comprendre les premières mesures pourraient se révéler intéressant :
Dans cette pièce (ainsi que dans un nombre important de mes oeuvres), les harmonies sont dérivées des harmoniques naturelles, de leur distorsion progressive en phénomènes légérement inharmoniques – comme si le piano et le violon dans leur fusion de timbre devenaient petit à petit une cloche -, et d’analyses de spectres de violon (plus difficile à découvrir dans la partition !)
Ainsi, la première mesure nous incite à l’écoute. La deuxième (par le biais de la distorsion, le shruti qui altère le si initial) nous offre le « neume » et parle à l’intelligibilité autant qu’à la sensibilité. La troisième mesure ramène à matérialité du corps et à sa chorégraphie ; des ébauches de jouissance qui s’évaporeront dans les deux mesures suivantes pour rappeler l’indicible à notre écoute. Voilà donc autant de qualités et de balises qui permettront d’élaborer ce voyage selon sa propre sensibilité.
La forme globale s’inspire largement de cette dynamique initiale :
A: l’amplification des jeux de timbres ; distorsions ; et l’extension progressive des « neumes » ;
B : point d’équilibre ;
C : gestes chorégraphiques (avec une référence à notre monde contemporain grâce à un beatfunky subversif) ;
D – fin : l’envol.
Mais ces quelques lignes ne sont que le point de vue totalement subjectif du compositeur. Elles sont loin d’être des vérités absolues. A chacun donc de les interpréter à sa manière, voire, de les oublier pour proposer sa propre vision de la musique. Cette oeuvre m’échappe et s’offre dès lors à l’imaginaire de ces merveilleux musiciens qui lui donneront vie.
(Claude LEDOUX)