An die Nacht

Catégorie
Musique vocale
Musique pour orchestre
2001
Compositeur(s)
Numéro
1
Période
2001-2002
Durée
20 min.
Effectif

pour soprano et orchestre [2.2.2.2 – 2.2.2.0 - 4 perc – Pno/cel - Hpe – 12.10.8.6.4]

Effectif complet
2.2.2.2 - 2.2.2.0 -4 perc. - Pno/celesta - Hpe - 12.10.8.6.4
Comment

Création : Orchestre Philharmonique de Liège, Laure Delcampe (sop), dir. : Patrick Davin, 28.11.02, Palais des Beaux-Arts, Bruxelles.
Commande de l'Orchestre Philharmonique de Liège, avec l'aide du Ministère de la Communauté Française.

Date de création
Programme

An die Nacht pour soprano et orchestre
sur un texte de Novalis (extrait des Hymnen an die Nacht) (2001/2002)

Benoît Mernier

Présentation

Le projet autour de An die Nacht a été déterminé par la figure de Schumann qui domine le programme de ce concert. Le choix du texte extrait des Hymnes à la Nuit de Novalis (1772-1801) —il s’agit du deuxième poème du cycle — s’est progressivement imposé à moi car, d’une part la personnalité —et la courte vie— de Novalis rappelle celle du musicien, mais surtout parce que ce cycle dédié à la Nuit —l’une des rares œuvres achevées de Novalis— me semble faire parfaitement écho à la musique orchestrale de Schumann qui, poétiquement, paraît très différente de son œuvre pour piano et de sa musique vocale. Ces œuvres symphoniques, ces « architectures de pénombre » comme les nomme André Boucourechliev —Manfred en est l’expression la plus claire, à mon sens—, résonnent de manière tragique, ambiguë et renvoient souvent à un monde crépusculaire.

Les Hymnen an die Nacht de Novalis ne se peuvent se réduire à une simple exégèse ; disons toutefois que cette œuvre emblématique du début du romantisme allemand est l’expression exacerbée de la douleur et du deuil d’un artiste, pour qui pensée et poésie ne faisaient qu’un, poète qui traitait tant le sujet philosophique que scientifique. En 1797, Novalis perd sa toute jeune fiancée Sophie von Kühn, qui meurt à l’âge de quinze ans —c’est à peu près l’âge de Clara Wieck lors de sa rencontre avec Schumann. Ce décès va transformer l’existence du poète en une quête métaphysique, une véritable « conversion de la vie à la mort ». Pour Novalis, la mort n’est pas le néant, ni les Enfers desquels Orphée cherche à extraire son Eurydice. Cette mort est le lieu où Novalis pourra retrouver sa fiancée. C’est l’éternité qui « n’a rien à voir avec la mort ordinaire : ce sera quelque chose que nous pouvons nommer transfiguration ». Novalis parle d’un amour qui s’est transformé en une véritable « religion ».
Ce thème de la mort renvoie au Manfred de Byron, bien que le sujet y soit traité différemment. Tout comme les fragments écrits par Schumann faisant suite à l’Ouverture rappellent « ce monde clos sur lui-même comme un hérisson » que l’on trouve dans les Fragments de Novalis publiés, comme les Hymnen an die Nacht, dans la revue Athenaeum de Friedrich Schlegel —c’est dans ses bras que Novalis mourra.

L’Eternité bienheureuse à laquelle Novalis aspire est aussi une éternité voluptueuse : la Nuit éternelle dont le sommeil humain ne donne qu’un pâle reflet est celle qui « flotte autour des seins de la tendre jeune fille », c’est l’ivresse du vin ou de l’opium, c’est l’état de torpeur provoquée par « l’huile magique de l’amandier ». La Nuit mortelle est aussi une nuit de noces éternelle, celle de l’étreinte infinie…
Dans ma musique, j’ai tenté de traduire ces idées ambivalentes par un détachement de la partie vocale par rapport à l’orchestre dont la continuité et le soutien quasi-permanent des lignes contrapuntiques et harmoniques peuvent évoquer le sentiment d’éternité (« ewig »). Un sujet récurrent de vis sans fin agit presque comme leitmotiv. L’idée obsessionnelle de la mort que l’on sent à travers tout le cycle de Novalis est, quant à lui, exprimé par les tournures vocales qui rappellent une certaine forme d’expressionnisme. A certains moments de l’œuvre, ces deux manières semblent conflictuelles, à d’autres elles s’épousent.
La partie vocale fait appel à un soprano léger pouvant chanter des vocalises dans l’aigu mais comportant aussi une charge dramatique dans le medium du registre, allusion à la figure de Sophie von Kühn.
Le traitement orchestral renvoie, quant à lui, à l’orchestre schumanien, non dans l’orchestration elle-même —plus « latine » que « germanique » dans An die Nacht— mais plutôt selon une image inversée. La pâte orchestrale de Schumann est ici lue de manière horizontale : le continuum orchestral dans ma pièce est le reflet de l’image verticale de l’épaisseur de l’instrumentation que l’on trouve chez Schumann.
L’ambivalence est présente dans le traitement poétique de l’extrait du poème choisi : à la fin de cette partie du texte, Novalis utilise un procédé quasi-rhétorique en opposant un univers sémantique éthéré (« messager taciturne de mystères infinis ») à sa mise en forme littéraire très dramatique, utilisant des tournures presque surchargées dans un effet très Sturm und Drang. Au début du poème, il oppose l’idée de violence de notre monde terrestre à « l’effleurement céleste de la nuit ». Cette antinomie présente tout au long du poème nécessitait un prélude orchestral relativement long avant l’entrée de la voix. Les idées musicales entendues dans le prélude reviennent de façon récurrente dans toute la pièce –« Faut-il que le matin revienne toujours ? ».

An die Nacht est une commande de l’Orchestre Philharmonique de Liège et est dédié à Harry Halbreich.

Benoît Mernier (octobre 2002)

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Référence
sur un poème de Novalis